Institut Supérieur des Beaux-Arts de Besançon
Exposition // Pénates 2013 // Gilles Picouet
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DU LUNDI 30 SEPTEMBRE AU JEUDI 10 OCTOBRE 2013
Sous-sols.

PENATES 2013 : LE GRAND ART DU « FAIT MAISON »

Ce sont les anciens Etrusques qui, dit-on, des confins de la Méditerranée Orientale et de la Grèce, auraient finalement codifié l’usage religieux du mot " Pénates ".
A l’origine, désignant le foyer ou même le garde-manger les Pénates avaient pris pour signification le ou les Dieux mais dans leur version à proprement parler " domestique ".
Il peut être utile de s’interroger ici sur la signification profonde de cette appropriation privée, familiale, de Dieux par ailleurs communs à tous, en tous cas au plus grand nombre, et honorés d’ordinaire par la Cité dans des temples impressionnants.
Les Pénates concrètement prennent souvent la forme de petits Zeus en bois, de figurines d’argile ou de bronze de la Déesse Mère ou de toute autre divinité choisie par la maisonnée qu’ils finissent (Pénates est de genre masculin ) par représenter toute entière comme par extension.
Sortes de représentations modestes, de Dieux rendus à l’échelle de la Domus ; descendus de leur Olympe en somme pour sanctifier la cuisine ou la chambre des enfants, les Pénates ont une signification moins ontologique que cultuelle.
Par ce culte des Pénates les terribles et magnifiques créatures surhumaines s’apprivoisent un peu et se contentent de petits autels faits maison alors que dans le pays on craindrait leur colère si le temple qui leur était dédié était trop peu orné ou même trop quelconque.
Différents des Dieux Lares qui évoquaient les ancêtres tout en restant pourtant leurs inséparables compagnons, les Pénates ne se comprennent pas sans admettre ce qui peut apparaître comme une permise et souhaitée désacralisation.
Et encore faudrait-il immédiatement bannir ce dernier terme puisqu’il s’agit de comprendre justement que le sacré puisse se dire aussi dans une pratique intime et journalière à l’échelle d’un foyer.
La Cité elle-même aura ses Pénates sortes de ré-appropriation populaire dont la célébration un jour par an le plus souvent ne s’oppose pas mais complète les prières des grands prêtres à l’abri de leur muraille sacrée.
Enfin, une autre caractéristique des Pénates mérite de figurer dans ce préambule, elles sont mobiles.
Disons plus volontiers nomades alors que les Lares sont assignés à résidence, les Pénates, elles, peuvent suivre les pérégrinations de la famille, elles sont en quelque sorte a-topiques en inventant chaque fois leur propre lieu .

Ainsi, historiquement définis, l’on comprend mieux sans doute pourquoi Gilles Picouet a choisi pareil terme pour évoquer cette exposition curieuse qui attire notre attention sur un double déplacement : celui des meubles familiers dans un lieu public d’ordinaire destiné à accueillir et à montrer des œuvres.
Et celui de créations dont on refuse l’isolement en les mêlant parfois intimement à des objets conçus habituellement comme "non artistiques".

Aussi assistons nous à une double désacralisation de valeurs ô combien contemporaines : que devient le foyer quand il sort de « chez lui » et que devient l’art quand on ne sait plus comme le dit si bien la conscience commune " où il habite " ?
L’art est-il cette étagère ou le tableau qui la surplombe ou bien ce tout qui nous amène à nous interroger sur le lieu que nous visitons ?
Est-on chez lui admis en amis intimes à faire connaissance avec ses Pénates ; est-on convier à une exposition d’art ou à un dévoilement ? Sommes-nous spectateurs ou voyeurs ? Pouvons-nous décider grâce aux seuls critères habituels de l’art de la nature de ce que nous découvrons ?

Bachelard disait justement qu’on ne sait pas une chose alors même qu’on la fait si on ne sait pas qu’on la fait.
Or dans ces Pénates que faisons nous exactement ? Habitons-nous avec Gilles ? Chez lui ? Ou traversons nous seulement une exposition à la scénographie singulière ?
Autant de questions qui nous rappellent que l’interrogation sur les lieux de l’art ne cesse d’intéresser cet artiste volontiers architecte et bâtisseur qui nous amène souvent de labyrinthe en cabanes en bois à mener une double introspection : où réside l’artistique sinon l’Art majuscule et à quelle condition peut-on se l’approprier vraiment ?

A l’heure où en Occident les " white cubes " ne cessent de nous rejouer le coup du saint des saints quand ce n’est pas celui de l’église ou de la chapelle, il est vital qu’une école d’art se laisse traverser par pareil questionnement ; laissons donc aux ignorants ou au clergé auto proclamé le soin de crier à la démagogie et choisissons, modestes et fervents citoyens que nous sommes, le chemin de la maison de l’art , chaleureuse et ô combien " habitée ".

Devenir Etrusques ! Voici un commandement qui sonne comme une ironie nietzschéenne mais qui en cette rentrée ne manquera pas d’amuser nos élèves à qui tout conspire ici, grâce à Gilles Picouet, à leur chuchoter tendrement à l’oreille :

" Welcome home " !
Laurent Devèze


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